Critique In : Nôt - Nuit noire

Rater les Mille et Une Nuits, c’est un peu comme rater Cyrano de Bergerac ou rater Hamlet. Quand on s’empare de tels monuments de la littérature, la puissance du récit résiste à tous les tiraillements qu’on peut leur faire subir, que ce soit pour les simplifier, les transposer ou les adapter. Et pourtant, raté, c’est bien le sentiment que laisse le spectacle de Marlene Monteiro Freitas, grande chorégraphe Cap-Verdienne, auréolée entre autres d’un Lion d’argent à la Biennale de Venise en 2018, et qui a fait l’ouverture de la 79e édition du Festival d’Avignon en présentant dans la Cour d’honneur sa version du Conte oriental. Intitulé Nôt qui signifie Nuit en créole, le spectacle n’est qu’inspiré des Mille et une Nuits et montre la violence d’un roi qui se venge de son épouse infidèle en tuant chaque matin une jeune fille avec laquelle il vient de passer la nuit. Mais on ne voit rien de la ruse de Shéhérazade, qui lorsque son tour arrive, décide de raconter au cruel sultan des histoires qui n’en finissent pas pour lui faire oublier l’arrivée du matin et reporter son meurtre de jour en jour... Sur l’immense plateau de la Cour d’honneur, seuls des lits souillés de sang constituent un lien avec le conte. Pour le reste, masques, marionnettes ou une actrice cul-de-jatte (extraordinaire Maria João Pereira) démultiplient les interprétations possibles jusqu’à complètement perdre le public. Même la scénographie n’échappe pas à la perplexité : un arsenal de cages grillagées qui évoquent sans doute le niveau de liberté octroyé dans ce palais, mais qui reste inutilisé. On a beau s’accrocher au conte, on ne s’y retrouve pas. On ne sait pas qui est qui, où sont les victimes, où sont les coupables. Reste une musique, un danseur, et des chanteurs talentueux. Mais ça ne suffit pas à nous éclairer sur ce spectacle, dont le titre en revanche est très éloquent. Nuit.