En avant, marche ! - Entre fanfare et douceur(07/12/15)

Après Coup fatal présenté début décembre, Alain Platel et ses Ballets C de la B enchaînent à Chaillot avec une deuxième création autour cette fois des fanfares. 

Qu'est-ce qui vous a donné envie de faire un spectacle sur les fanfares ?
Avec Steven Prengels et Frank Van Laecke, après Gardenia qu’on a créé ensemble, on avait envie de refaire un spectacle. On attendait juste de trouver le sujet et le moment. Et il y a deux ou trois ans, je suis tombé sur le livre d'un photographe, Stephan Vanfleteren, sur les fanfares belges. C’était très intéressant et très documenté et je leur ai proposé d'utiliser cette idée. Steven était très content puisqu’il avait lui-même joué dans une fanfare. Moi je ne connaissais pas. Donc, on a commencé par rechercher des fanfares. La première qu’on a trouvée officiait dans un petit village proche de Gand. C’était fascinant, parce que ce sont des gens qui exercent tous des professions différentes, qui n'ont pas forcément d'ambition artistique, mais qui se réunissent pour essayer de jouer de la musique. En même temps, ce sont des groupes assez ambitieux dans la mesure où ils participent souvent à des concours. 

Comment avez-vous écrit le spectacle ensemble ?
On a commencé par regarder le film de Fellini, Prova d’orchestra, qui parle des fanfares sur un ton à la fois très drôle et très tragique aussi. Ensuite on a cherché des fanfares. Parce que dans chaque ville où nous jouons, nous faisons appel à une fanfare locale, qui s’intègre au spectacle. On leur envoie la musique et les images de ce qu’ils doivent faire sur scène. Et la veille de la représentation, les comédiens rencontrent les musiciens et répètent avec eux les passages qui concernent la fanfare. Quant à l’intrigue, elle est inspirée d’une pièce en un acte de Pirandello, La fleur dans la bouche, qui parle de la famille, de la transmission, de la vie…

Dans En avant marche !, il y a beaucoup d’humanité et de burlesque. Et pourtant, la fanfare, cela évoque aussi des grands rassemblements militaires.
C’est vrai. Steven qui adore la musique classique, a choisi surtout de faire jouer à la fanfare des morceaux de Beethoven, Verdi ou Malher. Et il y en a certains qui vous donnent la chair de poule parce qu’on imagine très bien des grands rassemblements nationalistes. Comme j’avais déjà travaillé l’idée de la puissance de la foule dans C(h)oeurs, je n'avais pas envie de retraiter ce sujet dans En avant marche ! Ce que je recherche là, c'est la force de l'humanité qui se dégage de certains groupes. Et une sorte d'obsession personnelle depuis plus de 20 ans face à la disparition de communautés alors même qu’on ressent chez les gens ce besoin très fort de faire parti d'un groupe ; un des musiciens de la fanfare belge me racontait qu’il ne ratait jamais une répétition surtout quand il se sentait mal.

Le fait d’appartenir à un groupe, de ne pas être seul permet d’avancer. D’où sans doute le choix du titre En avant marche !
Oui c’est juste. Ça résonne beaucoup avec les raisons pour lesquelles j’ai choisi de faire du théâtre. Dans les fanfares que nous avons rencontrées, j’ai ressenti très fort la fragilité de l’humain. C’est pareil au théâtre : elle est exacerbée. Mais il n’y a pas de message dans le spectacle. Encore moins après ce qui vient de se passer avec les attentats. Je ne me sens pas très à l’aise avec l’idée du pouvoir du théâtre…

Est-ce que justement les événements ont changé des choses dans votre manière de jouer ?
Oui, parce qu’on cherche les liens avec ce qui se passe, et certaines phrases ont un impact beaucoup plus fort. Il y a un moment délicat quand l'acteur parle de sa peur. Il dit « j'ai peur de tout, de la pluie, du soleil et aussi des uniformes ». C'est une phrase qui fait partie de son texte depuis le début et qui maintenant est captée d'une autre manière. 

Vous vous définissez avant tout comme pédagogue. Qu’est-ce que cela implique avec les comédiens ? On vous imagine très doux…
Trop doux même ! (rires). Mais c’est nécessaire. Le processus de travail de la compagnie consiste à construire une histoire à partir des improvisations des comédiens. Ce qui les met en état de grande fragilité. Et en même temps de créativité ; chaque acteur devient un peu créateur de sa partition. Et la douceur est importante pour amener les artistes à créer.

Propos recueillis par Hélène Chevrier

En avant marche !
Mise en scène Frank Van Laecke et Alain Platel (photo @Chris Van der Burght)
Composition et direction musicale Steven Prengels

Théâtre National de Chaillot, 1 place du Trocadéro 75116 Paris, 01 53 65 30 00
du 9 au 12 décembre